Ces empêcheurs de jeûner en rond !

Publié le par Touriya

Depuis quelques jours, les pages web se multiplient autour de l’acte de désobéissance civile des déjeûneurs de Mohammedia : quelques jeunes gens ont osé manifester leur refus du dogme, leur hostilité à la loi marocaine qui interdit à tout individu réputé musulman de manger publiquement pendant le mois de ramadan, à la Constitution qui fait de l’islam la religion d’État, même si elle prétend tolérer les autres cultes (article 6), tout en ignorant superbement l’absence de culte !

Vous avez le droit d’être musulman, juif à la limite, peut-être chrétien (mais vous ne sauriez alors être Marocain, ou je me trompe ?), mais bouddhiste, niet ! athée ? niet niet ! agnostique ? kezako ?

Bref, au royaume enchanté du Maroc, on aime l’unité ! Nous sommes tous croyants puisqu’un Prince élu de Dieu nous gouverne ! Le principe de la monarchie de droit divin semble incompatible avec les transgressions de ce genre : dé-jeuner en public reviendrait en quelque sorte à invoquer un droit individuel, qui ne relève pas de nos traditions, de notre « culture », peut-être de celles d’un pays laïc ? Et voilà, le mot est lâché ! De là à voir dans cette entreprise la main de l’étranger, nécessairement sournois et néocolonialiste, cherchant à déstabiliser le pays, il n’y a qu’un pas… ou plutôt une bouchée de pain !

D‘autres verront – ont déjà vu – dans cette manifestation un simple coup de pub destiné à attirer la lumière sur je ne sais qui en vue de je ne sais quoi. Passons.

Les frileux de leurs religiosité n’ont pas manqué l’occasion de manifester, parfois avec une hargne surprenante et disproportionnée, leur indignation, leur condamnation… À se demander s’ils ne soupçonnent pas qu’en condamnant ces jeunes, ils risquent, le jour venu, de se retrouver eux-mêmes, vite fait, du mauvais côté : la Tunisie n’est pas si loin, pourtant.

En attendant que font ces jeunes dé-jeûneurs ? ceux qui ne sont pas derrière les barreaux en tout cas, car, pour certains d’entre eux, ils paraissent avoir commencé à solder leurs comptes, sinon avec  Dieu, du moins avec ses ministres ici-bas, qui leur apprennent l’art de bien se tenir en dehors de la table ; ceux qui restent donc, tentent de mieux s’expliquer sur leurs intentions : simplement manifester une revendication de reconnaissance de la liberté individuelle, respect qui inclut les jeûneurs bien sûr !

Sur certains forums, la sourate coranique « Al Kâfirûn » est citée en référence : « Vous avez votre religion et j’ai la mienne », n’est-ce pas ? Hé ! bien ; justement, non ! Celui qui est né Marocain, donc forcément musulman (à moins que, sauf votre respect, …) a la religion de ses pères, un point, c’est tout. Ou rien du tout ? Mais c’est le rien du tout qui est intolérable, insupportable… il interroge et déstabilise… celui qui n’a pas de religion, comment le classer ? est-il fiable ? n’est-il pas anarchiste ? s’il ne craint même pas la puissance divine, comment peut-on le contrôler ?

Nous sommes au Maroc, la loi prévoit juste (juste ?) une peine d’emprisonnement et une amende… Dans certains « pays frères », l’apostasie est passible de la peine de mort ! Ne devrait-on pas s’estimer heureux ?

Mais pourquoi, comment une poignée de jeunes gens, un peu romantiques, un peu inconscients, menacerait-elle l’ordre public ? pourquoi tant de haine de la part de ceux qui se disent « insultés dans leur carême » ?

Il faudrait peut-être poser la question autrement : qui sont ces jeunes dé-jeuneurs ? ne sont-ils qu’une minorité « bourgeoise qui a fait ses études dans les lycées français et qui a été aliénée par les idées laïcardes », comme le prétendent certains ? Sont-ils des jeunes naïfs et isolés, des brebis égarées qu’il faut remettre sur le droit chemin ? Sont-ils seuls ? sont ils les seuls à dé-jeûner ? à être musulmans de culture et à ne guère pratiquer ? Regardons bien autour de nous…

Tous ceux qui sont passés par les universités vous le diront : les étudiants se divisent en deux, les zélateurs de Dieu et les autres… Les autres ? c’est vous, moi, tous ceux dont la foi ne fait pas l’impasse sur l’estomac, mais qui se gardent bien de le crier sur les toits… Les autres, ce sont les prudents, les timorés, les connaisseurs du Texte se rappelant que « la Fitna est pire que l’assassinat »…

Et il n’y a pas que ceux-là ! Il y a les respectueux, enfin, façon de parler, d’autres diraient les hypocrites, ceux qui ne voudraient pas, n’est-ce pas, heurter les sensibilités, ceux qui se disent qu’il y a d’autres chats à fouetter, d’autres combats à mener, plus importants, plus urgents…

Pourquoi la manifestation d’une différence nous dérange-t-elle à ce point ? en quoi nous menace-t-elle ? Sommes-nous si fragiles dans nos convictions que le moindre écart puisse nous apparaître comme le début de l’Apocalypse ?

Il est vrai qu’au Maroc tout va pour le mieux : les bonnes gens ont la foi, ils ne pèchent pas, ne sont pas corrompus, n’abusent jamais de leur pouvoir, il n’y a pas de vol, pas de viol, pas d’inceste… Tout le monde mange à sa faim, il n’y a pas d’enfants abandonnés, pas de chômeurs désespérés, pas d’illettrés, pas de « brûleurs » enragés d’Europe… Tout va bien dans le meilleur des royaumes possibles !

Alors que viennent faire ces trublions de la digestion à vide ? S’ils commencent par revendiquer le droit de manger pendant ramadan, où s’arrêteront-ils ?

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I
lah ya âtik saha. Tu as dit l'essentiel, le pertinent (et l'impertinent), le juste et le censé. Ta jolie plume pamphlétaire fait mouche à coup sûr et sait bien dire les incohérences et les incongruités d'un système basé sur les faux-semblants et la religiosité de fortune. J'adhère à fond, et te souhaite plus d'impertinence et de clairvoyance.
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T
<br /> venant d'une belle plume comme la tienne, ces compliments m'honorent <br /> Merci!<br /> <br /> <br />